La mort


Je crois que je suis dans un théâtre. Tout est plongé dans l'obscurité. Peu à peu, la scène commence à s'illuminer, mais voilà que je me retrouve sur celle-ci!
On dirait un décor de cinéma. Ici, les lueurs des torches; au fond, une gigantesque balance à deux bras. Le plafond, peut-être voûté, doit être très haut car je n'en vois pas les limites. Je parviens à discerner quelques murs de pierre, des arbres et des marécages autour du centre de la scène. Tout cela pourrait bien se prolonger en une forêt très épaisse. De toutes parts, des silhouettes humaines se déplacent furtivement.
Soudain, deux sujets encapuchonnés me saisissent par les bras. Puis, une voix grave me demande:
«D'où viens-tu?»
Ne sachant que répondre, j'explique que je viens du “dedans”.
«Qu'est-ce que “dedans”?» dit la voix.
Je tente une réponse: «Comme je vis dans la ville, la campagne est “dehors”. Pour les gens de la campagne, c'est la ville qui est “dehors”. Mais je vis dans la ville, donc “dedans”, et c'est pour cela que je dis que je viens de “dedans” et que maintenant, je suis “dehors”.»
– Tout cela est stupide: tu entres dans nos domaines, donc tu viens de “dehors”. Ici, ce n'est pas la campagne, c'est ton “dedans”. N'as tu pas pensé, par hasard, que ceci était un théâtre? Tu es entré dans le théâtre qui, à son tour, est dans ta ville. La ville dans laquelle tu vis se trouve en dehors du théâtre.
Je lui répond: «Non, le théâtre fait partie de la ville dans laquelle je vis.»
– Ecoute, insolent! dit la voix. Finissons-en avec cette discussion ridicule. Pour commencer, je te dirai que tu ne vis déjà plus dans la ville. Tu vivais dans la ville, ainsi ton espace de “dedans” ou de “dehors” est resté dans le passé. Tu te trouves dans un autre espace-temps. Dans cette dimension, les choses fonctionnent autrement.
Soudain apparaît devant moi un petit vieux, qui porte un récipient dans sa main droite. Arrivé près de moi, il introduit son autre main dans mon corps, aussi facilement que dans du beurre. Il extrait d'abord mon foie, qu'il dépose dans le récipient. Puis il procède de même avec les reins, l'estomac, le cœur et, pour finir, il retire sans professionnalisme tout ce qu'il trouve, jusqu'à ce que cela déborde du réceptacle. Pour ma part, je ne sens rien de spécial. Le sujet se retourne ensuite et, emportant mes viscères jusqu'à la balance, il les dépose sur l'un des plateaux. Celui-ci s'abaisse jusqu'à toucher le sol. Je pense alors me trouver dans une boucherie dans laquelle on pèse des morceaux d'animaux sous les yeux des clients. De fait, une femme portant un panier essaie de s'emparer de mes entrailles, mais le vieux la repousse en lui criant: «Mais enfin! Qui vous a autorisée à emporter les morceaux?» Le personnage monte ensuite par une échelle jusqu'au plateau vide resté en hauteur, et y dépose une plume de hibou.
La voix s'adresse de nouveau à moi, prononçant ces mots: «Maintenant que tu es mort et que tu es descendu jusqu'au seuil du monde des ombres, tu dois te dire: “on pèse mes viscères” et c'est bien le cas. Peser tes viscères, c'est peser tes actions.»
Les personnes encapuchonnées qui me tenaient les bras me libèrent et je commence à marcher, lentement mais sans direction précise.
La voix continue: «Les viscères inférieurs se trouvent dans le feu infernal. Les gardiens du feu se montrent toujours actifs et empêchent que s'approchent les gens que tu aimes.»
Je me rends compte que la voix est en train de guider mes pas et que la scène change à chaque suggestion.
La voix dit: «Premièrement, tu vas payer les gardiens. Puis, tu entreras dans le feu et tu te souviendras des souffrances que tu as infligées à d'autres dans la chaîne de l'amour. (*)
«Tu demanderas pardon à ceux que tu as maltraités et ne sortiras purifié que lorsque tu te seras réconcilié. (*)
«Alors, appelle par leur nom ceux que tu as outragés, et prie-les de te laisser voir leurs visages. S'ils accèdent à ta demande, écoute attentivement leurs conseils parce qu'ils sont aussi doux que des brises lointaines. (*)
«Remercie sincèrement et pars en suivant la torche de ton guide. Le guide traversera des couloirs obscurs et arrivera avec toi à une chambre où sont gardées les ombres de ceux que tu as violentés au cours de ton existence. Tous se trouvent dans la situation de souffrance où tu les as laissés. (*)
«Demande-leur pardon, réconcilie-toi et embrasse-les un par un avant de partir. (*)
«Suis le guide qui sait t'amener sur les lieux de tes naufrages, là où les choses sont irrémédiablement inertes. Ô! Monde des grandes pertes, là où les sourires, les charmes et les espoirs sont ton poids et ton échec! Considère attentivement la longue chaîne de tes échecs et, pour ce faire, demande au guide d'éclairer lentement toutes ces illusions. (*)
«Réconcilie-toi avec toi-même, pardonne-toi à toi-même et ris.
«Tu verras alors comment, de la corne des rêves, surgit un vent qui emporte vers le néant la poussière de tes échecs illusoires.» (*)
Tout à coup, la scène change complètement; je me trouve dans une autre ambiance et j'entends:
«Même dans la forêt obscure et froide, suis ton guide. Les oiseaux de mauvais augure frôlent ta tête. Dans les marécages, des lianes serpentent autour de toi. Fais en sorte que ton guide t'amène à la grotte. Là, tu ne pourras plus avancer sans payer le prix aux formes hostiles qui en défendent l'accès. Si finalement tu arrives à entrer, demande au guide qu'il éclaire à gauche et à droite. Prie-le d'approcher sa torche des grands corps de marbre de ceux à qui tu n'as pas pu pardonner. (*)
«Pardonne-leur un par un et quand ton sentiment sera vrai, les statues se transformeront en des êtres humains qui te souriront et te tendront les bras en un hymne de remerciement. (*)
«Suis le guide hors de la grotte et ne regarde en arrière sous aucun prétexte.
«Laisse ton guide et reviens ici, là où sont pesées les actions des morts.
«Maintenant, regarde le plateau de la balance sur lequel tes actions ont été déposées et constate comme elles montent et sont plus légères qu'une plume.»
J'entends un grincement métallique alors que s'élève le plateau sur lequel était déposé le récipient.
La voix conclut: «Tu as pardonné ton passé. Tu as trop pour prétendre plus, pour le moment. Si ton ambition te menait plus loin, il pourrait arriver que tu ne reviennes pas dans la contrée des vivants. Pour l'instant, la purification de ton passé, c'est déjà beaucoup. A présent, je te dis: “Réveille-toi et sors de ce lieu”»

Les lumières de la scène s'éteignent lentement, pendant que je sens que je suis sorti de ce monde-là, et de nouveau à l'intérieur de celui-ci. Mais je me rends compte également que, dans ce monde-ci, je garde en moi les expériences de l'autre.

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Thèmes d’échanges possibles

L’expérience de réconciliation avec le passé comme ouverture du futur.

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